Dang Thai Son vient de triompher au Théâtre des Champs-Élysées. Pour son grand retour sur une prestigieuse scène parisienne, il a partagé l’affiche d’un récital avec son élève Bruce Liu. Rarissime en récital sur l’hexagone, il a formé la moitié des lauréats des derniers concours Chopin, dont il a été en 1980 le premier vainqueur asiatique.
Né au Vietnam, Dang Thai Son est le cadet d’une fratrie de trois. Il grandit avec l’exemple de ses frère et sœur qui jouent du piano et du violoncelle. Ses parents tentent de le dissuader d’apprendre la musique : “Trop de bruit à la maison !” Mais à 5 ans, il insiste pour commencer à étudier le piano avec sa mère, Thai Thi Lien, cofondatrice de ce qui est aujourd’hui connu sous le nom d’Académie nationale de musique du Vietnam. Il a 7 ans lorsqu’éclate la guerre du Vietnam. Sa famille est évacuée à la campagne, dans un village reculé où Dang Thai Son joue sur des pianos délabrés sauvés de l’école de sa mère à Hanoï. Ses cours ont lieu dans des abris antiaériens sous une pluie de bombes, mais en sortant, il admire le clair de lune… “Pas quelque chose dont on peut bénéficier en ville!”, s’exclame-t-il, trouvant dans ces moments la source de son émotion pianistique. Il ne quittera ce village qu’à l’âge de 15 ans. Un an après la fin de la guerre, il fait la rencontre du pianiste russe Isaac Katz qui vient donner des master classes à Hanoï. Katz lui propose de parfaire sa formation à Moscou. C’est donc en 1977, ne parlant pas un mot de russe, que le jeune virtuose pose ses valises en URSS. Au Conservatoire, il étudie avec Vladimir Natanson et Dmitri Bashkirov, mais suit également tous les autres cours, dont le russe, les bases du marxisme-léninisme (mention très bien !) et l’harmonie. C’est sans doute Natanson qui a eu le plus d’influence sur son jeu. C’est avec lui qu’il travaille Chopin et le répertoire romantique. À l’époque, il a à peine 22 ans, et ne songe pas réellement à participer au Concours Chopin. Il passe néanmoins les auditions de sélection du Conservatoire, pour pouvoir se comparer aux autres. Miracle : il est sélectionné ! “Avant cela, les vietnamiens étaient vus un peu comme des sauvages venant de la jungle. Et tout à coup : un vietnamien sait jouer du Chopin !” En 1980, Dang Thai Son participe donc au concours, sans grand espoir tant les autres candidats sont plus expérimentés que lui. Mais il remporte non seulement la victoire, mais également tous les prix spéciaux. C’est alors le début d’une carrière internationale.
Depuis, il s’est produit avec pratiquement tous les grands orchestres d’Europe et aux côtés de Yo-Yo Ma, Mstislav Rostropovich, Pinchas Zukerman et d’autres musiciens de légende. Il donne des récitals dans les plus grandes salles de concert du monde et consacre une grande partie de son temps à l’enseignement, au Conservatoire Oberlin de Montréal.
En près d’un siècle d’existence du Concours Chopin, il est le seul lauréat à avoir guidé un disciple (Bruce Liu, le dernier 1er Prix en 2021) vers la victoire. Le Maestro reste conscient des critiques, souvent justifiées, du “jeu asiatique” : “Les qualités des pianistes asiatiques sont leur sensibilité, leur détermination, leur travail acharné, leur ouverture d’esprit, leur flexibilité. Le bémol… c’est que le sens de leur jeu n’est parfois pas clair, limité par le développement de leur personnalité. Au lieu de cela, il y a un mélange de technique et de son agréable”.
Avec ses élèves, il travaille sur une meilleure compréhension de l’âme et de la culture européenne, de ses références, mais aussi du sens et des émotions derrière chaque phrase musicale. Il ne faut cependant pas imaginer l’enseignement de Dang Thai Son comme une machine de guerre “chopiniste”. D’ailleurs, avec Bruce Liu, il n’a abordé Chopin qu’à la toute fin de ses études, consacrant le reste du temps au répertoire russe et à la musique française, dont Dang Thai Son est un interprète de référence.
© Hirotoshi Sato